Isawa Tenzen

Kyuden Isawa - Capitale du clan du phénix

Tenzen était un samouraï de vingt-trois ans qui avait grandi dans la maison du phénix. Ses terres étant situées dans le nord de l’empire, le clan du phénix se distinguait par la formation d'une élite de samouraïs érudits, préférant l'érudition au combat. Bien qu'ils aient la réputation d'être arrogants, les samouraïs du clan du phénix étaient indéniablement compétents dans des domaines variés tels que la philosophie, les sciences et les techniques. Chaque famille noble des clans majeurs bénéficiait de l'enseignement d'au moins un sensei issu du clan du phénix pour leurs jeunes samouraïs. Le clan du phénix était aussi très influent à la cour de l’empereur.

Le barrage de Nakamura

Tenzen attendait depuis une éternité son audience avec le seigneur Iwamori, se sentant angoissé et mal à l'aise. Même si Bayushi Iwamori n'était pas Shogun, il n'était certainement pas un farceur. Au début de sa carrière, à peu près à l'âge de Tenzen, Iwamori avait entrepris de résoudre les problèmes de crues dans la région et d'améliorer la navigabilité du fleuve. Celui-ci traversait le territoire du clan du scorpion du nord au sud jusqu'à la capitale, Kyuden Bayushi. Iwamori rallia un à un les seigneurs possédant des territoires le long du fleuve pour financer la construction d'un barrage à la naissance de la vallée. À la fermeture des vannes, il coordonna des équipes pour assécher le fleuve et nettoyer les berges, mettant ainsi fin aux crues et rendant le fleuve navigable toute l’année. La vallée connut une décennie de croissance économique exceptionnelle, enrichissant tous les seigneurs possédant un territoire fluvial. Bayushi Tokugawa, un seigneur du clan du scorpion, exprima son intention de taxer le passage des bateaux sur son territoire. Iwamori lui rendit visite personnellement, mais la négociation ne se passa pas dans une bonne ambiance et se conclut par un duel entre Iwamori et Tokugawa.

Combat entre Iwamori et Tokugawa

Une rumeur prétendait que les combattants s’étaient métamorphosés en dragons pour livrer bataille. Tenzen n'en croyait pas un mot. "On n’a jamais trouvé le moindre os de dragon, ni la moindre écaille. Encore moins un œuf ou une griffe. Personne ne peut nous mener à un endroit où les observer. Moi, les dragons, j'aimerais bien savoir où ils vivent et ce qu'ils mangent avant de donner du crédit à ceux qui racontent en avoir vu", grognait-il. Plus vraisemblablement, selon d'autres sources, Iwamori aurait feinté à droite pour déjouer l'attaque de Tokugawa, esquivant ainsi la puissante lame du no-dashi (katana à deux mains) dans un mouvement fluide. Iwamori aurait alors porté un coup dans son propre dos avec la pointe de son katana, atteignant Tokugawa juste sous le bras, là où son armure était la plus vulnérable. Tokugawa s’effondra (ou reprit forme humaine selon certains), parvint à ôter son heaume, et dans un dernier soupir, prononça ses dernières paroles que seul Iwamori put entendre : « J’ai eu honneur à tomber contre toi… ». Iwamori ne chercha pas à dissimuler la peine dans ses yeux.

Pour détendre l’atmosphère, tous les regards se tournèrent vers Doji Meloku, la femme de Tokugawa, une samouraï du clan de la grue. Elle affectait haine et mépris envers Iwamori mais semblait étonnement soulagée, comme si l’issue du combat ne pouvait pas lui être défavorable. A l’issue d’un court entretien avec Iwamori elle partit avec ses enfants les samouraïs de sa suite.

Doji Melolku du clan de la grue n’était pas impressionnée…

Ainsi Iwamori prit possession du territoire de Tokugawa et tous les hommes qui n’avaient pas suivi Doji Meloku acceptèrent avec enthousiasme de lui prêter allégeance. Iwamori avait montré sa capacité à changer le cours du monde, il avait dompté le fleuve, il n’avait pas hésité à mettre sa vie en jeu pour défendre son œuvre, il inspirait loyauté à ses hommes moins par sa naissance que par ses actions. Il était aujourd’hui l’un des plus importants lieutenants de Bayushi, le daimyo du clan du scorpion, pour ce qui était du commandement, Iwamori en connaissait un rayon. C’est précisément pour ça que Tenzen voulait le rencontrer.

Le village de Nakamura

Tenzen trouvait le temps long dans cette salle d’attente, mais au moins, il n’y avait pas de chiens… En bas, de gros chiens l'avaient dévisagé, semblant dire « Toi, tu n’es pas mon ami ». Au moins, les chiens d’Iwamori n’avaient pas aboyé. Cet éminent seigneur du clan du scorpion conservait une abondance de babioles et d’œuvres d’art qui n’avaient aucune cohérence entre elles, donnant une impression de désordre à la pièce. En revanche, l’architecture générale de la demeure d’Iwamori était très impressionnante. Elle était entièrement construite en bois et montée sur pilotis au-dessus du lac qui s’était formé à la fermeture du barrage. Le charmant petit village de Nakamura, qui abritait les domestiques et les responsables de l’entretien du barrage, se situait légèrement à l’écart de l’immense château sur pilotis. C’est là qu’était arrivé Tenzen le matin même. Alors qu’il cheminait sur le sentier, après un voyage de plusieurs jours depuis les terres du phénix au nord de l’empire, Tenzen s’était souvenu des paroles de son Sensei :

“Te fier à personne tu ne pourras,

Le doute en chacun tu insinueras

Mais ta vocation nul ne comprendra

Et sans amour ni honneur tu mourras.

Un bruit de porte fit revenir Tenzen à l’instant présent ; un serviteur lui fit signe de le suivre. Le serviteur fit entrer Tenzen devant Iwamori. "Oulàlà," se dit Tenzen en déchiffrant le visage d’Iwamori, "ça m’étonnerait qu’il me prenne très au sérieux celui-là, avec mon clan de la chouette."

Iwamori ne dit pas un mot et, d’un geste de la main, invita Tenzen à s’asseoir sur une chaise autour d’un bureau en face de lui. Iwamori regardait Tenzen d’un air interrogatif. 

« Iwamori-sama, je vous suis reconnaissant de m'accorder cette audience », commença Tenzen. « Votre temps est précieux, j’irai donc droit au but. » La patience d’Iwamori semblait déjà épuisée, mais Tenzen continua. « J'ai eu le privilège d'obtenir la permission impériale de fonder mon clan. » Pour un samouraï aussi jeune, c'était vraiment la classe, et Tenzen remarqua une lueur de respect, voire de jalousie, dans l’expression d’Iwamori. « Mon daimyo du clan du phénix a demandé que je choisisse un oiseau comme emblème », précisa Tenzen, devinant un sourire dans le regard d’Iwamori.

« Quelles sont les valeurs de ton clan, Tenzen, Daimyo du clan de la chouette ? » demanda Iwamori d’un ton glacial.

Tenzen se sentit incapable de soutenir le regard d'Iwamori ; son regard errait autour de la pièce. Il y avait du désordre partout dans son bureau, le Daimyo du clan de la chouette aurait bien envie de faire un peu de rangement… Il inspira profondément pour reprendre sa concentration et reprit avec assurance dans la voix, mais en baissant le regard avec humilité."

« La raison Iwamori-sama. La raison au service de la création du savoir et du progrès. Les hommes sont confrontés à des problèmes, c’est-à-dire à des idées contradictoires, des théories incompatibles qui cherchent à expliquer la réalité. Pour résoudre ces conflits les hommes doivent chercher et trouver de meilleures explications, c’est-à-dire des idées nouvelles satisfaisantes à toutes les critiques rationnelles. Certaines de ces explications renfermement des trésors qui permettent de transformer le monde. La théorie de la connaissance est l’une d’entre elles. » Tenzen marqua un temps d’arrêt ; Iwamori avait le regard pensif. « L’hypothèse fondamentale est qu’il existe une réalité objective, c’est-à-dire indépendante de nos perceptions, universelle, c’est-à-dire la même pour tous les observateurs, et compréhensible, c’est-à-dire explicable. Autrement dit, le ruisseau existe indépendamment du pêcheur, l’eau ruisselle en montagne comme en mer, et on peut comprendre la rivière pour la dévier, ou la pierre pour la façonner, afin de faire enfanter un lac à la montagne. Comprendre la réalité, expliquer ses phénomènes, c’est faire progresser le savoir, c’est faire avancer les hommes. Telle sera la mission du clan de la chouette. » Tenzen jugea préférable de ne pas trop s’étendre sans y avoir été invité par son hôte, vu son attitude taciturne jusqu’alors. Mieux valait lui laisser poser des questions. Il ne s’attendait pas à ce qu’un guerrier du clan du Scorpion comprenne en deux minutes toute sa philosophie, mais il espérait au moins avoir attisé sa curiosité. 

La barrage de Nakamura

« Et qui sont tes ennemis, jeune et ambitieux Daimyo ? » interrogea le seigneur du clan du Scorpion, son regard toujours aussi insaisissable. Tenzen remarqua que l’ambition était assurément une valeur partagée par Iwamori.

« J’ai deux puissants ennemis », répondit-il avec enthousiasme, « mais aucun d’eux ne porte de katana, ni ne pratique le kenjutsu. Pourtant, ils exercent plus d’influence sur les hommes que les daimyos et leurs armées. »

Iwamori plissa les paupières, enfin un signe clairement lisible sur son visage. « Le premier d’entre eux, reprit Tenzen, c’est l’ignorance. » Le daimyo du clan de la Chouette marqua un temps d’arrêt ; on entendit un craquement ligneux provenant des entrailles de l’immense bâtisse sur pilotis. Iwamori ne bougea pas un sourcil, tandis que Tenzen eut un frémissement puis reprit, « de mes deux ennemis, l’ignorance est le plus faible, car il atteint rarement les esprits brillants. Celui-là, je sais parfaitement comment lui faire mordre la poussière… »

« Mais le second prend sa source au cœur des hommes », s'emporta Tenzen avec passion, « il afflue dans leur intelligence et se jette dans leurs esprits. Les certitudes inondent les consciences et submergent le savoir. Elles remplissent l’égo des hommes, surfent sur la raison et font barrage aux vagues de la critique. Le savoir est une matière noble et insaisissable, qui ne peut être forgée qu’entre le marteau de la critique et l’enclume de la raison. » Tenzen se dit que son sensei aurait sûrement trouvé des rimes, mais le principal était de faire passer le message.

« A l’évidence, tu n’es pas venu me voir pour que je t’aide à combattre l’ignorance et les certitudes par la force », intervint Iwamori avec calme. « Qu’attends-tu de moi ? »

« Iwamori-sama, jusqu’à aujourd’hui, j’ai consacré toute ma vie aux lettres et aux sciences. Il me reste encore tant à apprendre, tout ce qu’on ne trouve pas dans les livres... Je manque d'expérience en matière de commandement, je suis novice en politique, je n’ai ni allié ni territoire. J’ai besoin d’un sensei. »

Iwamori se leva et se dirigea vers le balcon. « Reviens me voir demain soir. Tu peux loger ici en attendant. » 

Tenzen se retira, laissant sur le bureau un ouvrage intitulé « Le début de l'Infini ».

 

Au philosphe Sensei David Deutsch

 
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Bayushi Iwamori